Première présentation du Traité (JF. Boudet)

Cachez-moi cette mort que je ne saurais voir !

Si cette apostrophe de tradition typiquement freudienne peut a priori choquer, elle montre aussi que la mort en tant qu’état et processus est un sujet mal perçu dans nos sociétés occidentales contemporaines comme la peste l’était hier du choléra.

La mort mérite pourtant d’être apprivoisée comme une étape de vie. Ces deux volumes intitulés malicieusement « les nouveaux droits de la mort » sont dans ce but ambitieux dans leurs contenus et par la richesse humaine, scientifique et géographique de leurs auteurs.

Il s’agit surtout d’un Traité reprenant les principaux éléments de la législation funéraire dans leurs rapports avec les autres sciences sociales, humaines, médicales, politiques, économiques ou artistiques pour faire œuvre aussi de propositions et de découvertes. Les « nouveaux droits de la mort » se veulent être plus exactement des droits de « rapports ».

I- La mort est tout d’abord en rapport avec la vie. A cet égard, chacun est l’égal devant la mort de telles sortes que chaque branche du droit (privé, public, international, comparé, etc.) s’est  appropriée le sujet pour en élaborer une matière définitivement ancrée dans le concept d’Unité du Droit. La mort est précisément une affaire de « séparation » qui, du commun des mortels, existe depuis la naissance de chaque être. L’appréhension anthropologique, psychologique, psychanalytique, voire artistique peut aider l’homme rationnel, faible et impuissant à appréhender dans le temps et dans l’espace cet évènement difficile et douleur qu’est la mort d’un être cher. C’est encore pour cela que la sphère publique – en particulier la circonscription communale – a conservé un pouvoir fort pour réglementer, surveiller et administrer cet espace et ce temps de la mort. Les cimetières et autres sites cinéraires où reposent les restes matériels de nos concitoyens décédés sont en effet placés principalement sur des terrains qui appartiennent au domaine public et que la police municipale a notamment pour vocation de réglementer. Des questions des aménagements et parfois des constructions monumentales des sépultures et autres pierres tombales, de « carrés dits confessionnels », des crématoriums, des clôtures des terrains entourant les cimetières, des ossuaires, des reprises de concession(s), etc. sont ici réglées avec autant de normes que de pratiques locales. Certains cimetières sont en outre des sites classés et les lieux de visites et de mémoires. La puissance publique assure à sa manière une forme de continuité entre la vie et la mort.

II- La mort est ensuite en rapport avec la liberté. Si un service public obligatoire existe plus particulièrement en France, ce dernier ne doit pas être confondu avec le « service public extérieur ». Le législateur a souhaité reconnaître dans le premier cas un « service public » funéraire qui correspond – principalement – à l’activité d’inhumation, d’exhumation et de crémation.  Historiquement assuré par  les cultes, il a ensuite été « publicisé » et même assuré de façon monopolistique par les communes. Depuis 1993, le « service public extérieur des pompes funèbres » (qui ne comprend pas le service intérieur toujours réservé aux cultes et à la sphère privée et les activités purement commerciales et esthétiques de décorations funéraires) a toutefois  été « privatisé ». Dès lors, la mort et les morts de nos cités sont principalement pris en charge aujourd’hui par des entrepreneurs privés (de pompes funèbres) même si quelques collectivités locales tiennent encore à assurer ce rôle et que la puissance publique étatique surveille ou régit ce secteur jugé sensible et reconnu d’intérêt général. L’on comprend alors parfaitement le rôle régulateur de la puissance publique dans un Etat démocratique : sans pouvoir décider de la mort de tout à chacun, elle entend assurer et promouvoir une certaine égalité de traitement devant la mort (réglementation, information, concurrence, économie notamment) ou, en tout état de cause, un certain espace temporelle ou un temps spatial pour dire l’« A-Dieu » (religions et espaces laïcs, mort à l’hôpital, etc.).

III- La mort est enfin en rapport avec la société civile  et politique. La mort est plus exactement la signature de toute civilisation et la place qui lui est faite dans la société politique et civile montre en définitive l’espace qui est fait au mort en lui-même. Le droit peut paraître ici dépasser par les pratiques ou les fantasmes les plus fous de l’homme vivant, qui peut par exemple exposer « son » mort, « souhaiter » une cryogénisation ou une incinération et « demander » un enterrement de manière rocambolesque ou dans un lieu particulier. La législation funéraire s’ouvre alors à d’autres disciplines et d’autres géographies pour mieux comprendre les rapports que la règle juridique entend promouvoir ou valider dans la société. Le droit constitue en quelque sorte sinon un élément essentiel et universel au moins un facteur déclencheur et déterminant de l’état et du processus mortuaires (état civil, successions, assurance, fiscalité). Dans ce cadre, le statut du mort est posé : plus totalement une personne, mais pas tout à fait une chose, le corps mort n’en reste pas moins digne d’intérêt en ce qu’il représente des enjeux judiciaires, sanitaires, techniques, médicaux ou scientifiques importants, enjeux qui justifient une protection que le droit ne manque pas de lui apporter (statut du cadavre, questions bioéthiques, etc.). C’est alors sous une forme de récurrence que la législation funéraire interroge encore et toujours le vivant sur ses rapports à la vie, à la liberté et à la société civile et politique dans laquelle il est amené à exister.

Bonne lecture  !

JFB