Une nouvelle thèse !

Mme Jeanne Mesmin d’Estienne, l’une des co-auteurs / contributeurs du Traité des nouveaux droits de la mort, vient de soutenir publiquement une thèse de doctorat en droit ce 06 octobre 2014 à l’Université Paris II Panthéon Assas et ce, sous la direction de M. le professeur Didier Truchet. Cette thèse intitulée « Le droit public et la mort » est ici résumée par l’auteur :

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Résumé :

L’intérêt d’une étude sur la mort découle des contradictions qui l’affectent car seuls les vivants pouvant être créateurs de normes et titulaires de droit, la mort en droit public est par définition un droit des vivants. La mort, prise en considération par le droit public, est un prisme sous lequel se dévoile la construction de l’Etat tout en révélant les lacunes et les fragilités du droit face au mystère de la condition humaine.

Oscillant entre une conception de la mort perçue comme un néant et des projections individuelles et collectives conférant, malgré tout, une valeur à la personne et à la vie humaine avant et par-delà le décès, l’Etat s’est émancipé de la religion dans son rapport au corps défunt. Toutefois, la construction d’un rapport au corps défunt, hors du cadre religieux, fut particulièrement difficile à mettre en œuvre. Ce n’est qu’à travers un long processus de laïcisation que l’Etat parvient à s’écarter de l’Eglise catholique. Le droit ne se dépare pas complètement de toute dimension « sacrée » et les prescriptions normatives témoignent de l’importance accordée aux représentations individuelles et collectives. Toutefois, dans un droit laïque ne reconnaissant pas de vie après la mort, cette dimension « sacrée » ne s’inscrit pas dans des projections sur un hypothétique au-delà. En protégeant les défunts, la norme juridique cherche avant tout à apaiser les vivants confrontés au décès, en atténuant les conséquences de la mort et en prenant en compte les exigences du deuil.

Pour comprendre ce processus de prise en considération des vivants face à la mort il convient de replacer les transformations qui affectent le rapport à la mort dans un cadre de réflexion plus large. Ce n’est pas seulement la relation au défunt qui évolue au cours du XIXe siècle, mais également la conception même du pouvoir de l’Etat par rapport à la vie humaine. Les conséquences dramatiques des deux conflits mondiaux conduisent à l’émergence d’un droit universel à la vie. On a assisté ainsi en l’espace de moins d’un siècle à un basculement d’un devoir de ne pas tuer à une obligation de protéger la vie à laquelle la norme juridique fait très largement écho. L’Etat tente de protéger la vie humaine et l’extension de ses devoirs face à la mort témoigne d’une transformation ontologique de sa fonction. En admettant de voir mise en cause sa responsabilité et en acceptant d’indemniser parfois très largement le décès, l’Etat tire les conséquences juridiques de l’affirmation de la valeur de la vie humaine. Cependant, en dépit de la multiplication des normes juridiques en ce sens, la vie humaine reste caractérisée par sa fragilité. Bien plus, la collectivité exerçant une emprise croissante sur la vie humaine, la nouvelle maîtrise de la vie humaine soulève des enjeux juridiques inédits.

Les contradictions du droit de la vie anténatale et les paradoxes du droit de la fin de vie montrent que l’ordre juridique est confronté à de nouveaux défis dans son rapport à la vie et à la mort. Afin de répondre aux avancées scientifiques et médicales, le droit a été amené à formuler un nouveau concept : le concept de dignité de la personne humaine. Suppléant dans un cadre laïque à l’ancienne sacralité reconnue à la personne, c’est à partir de ce concept, progressivement autonomisé par rapport aux droits subjectifs, que le droit va structurer le régime juridique applicable aux êtres humains. Le législateur et la jurisprudence privilégiant tour à tour des conceptions antinomiques de la dignité, la règle de droit donne l’apparence d’une grande incohérence. Cependant, ce flou entretenu sur le concept de dignité se fait en faveur de l’Etat qui reste libre d’en déterminer le contenu. Ainsi, le concept de dignité de la personne humaine cristallise une nouvelle forme d’expression de la souveraineté de l’Etat. Dans un monde où la puissance étatique, comme pouvoir de contrainte unilatérale, est de moins en moins acceptée par le groupe social, c’est à travers la maîtrise de la notion de dignité que l’Etat maintient son emprise sur la vie humaine. Continuant de détenir le monopole de la violence légitime, l’Etat tend à renoncer à l’expression tangible de ce monopole. Cependant, en maîtrisant le contenu de la dignité, en choisissant tour à tour d’en favoriser certaines définitions au détriment d’autres, l’Etat étend son emprise sur la vie humaine.

L’Etat s’efforçant de répondre à toutes les questions afférentes à la mort, la conviction s’impose qu’il n’y a pas de « vides juridiques ». Si la Doctrine juridique se complaît parfois à les évoquer, le plus souvent afin de mieux dénoncer un droit positif qu’elle juge imparfait, ni les évolutions exogènes au droit, ni ses transformations endogènes n’entraînent de tels « vides » au sein de la norme juridique. L’étude de la mort souligne bien au contraire que tous les conflits trouvent leur résolution dans une règle de droit elle-même éclairée par l’interprétation qu’en font les acteurs juridiques. Toutefois, cette première conviction est immédiatement suivie d’un deuxième constat : l’absence de cohérence de l’ordre juridique actuel. Viables juridiquement les réponses apportées ne sont pas toujours satisfaisantes théoriquement car elles ne s’inscrivent plus dans un système normatif cohérent. Non seulement les arbitrages juridiques se contredisent mais dans des situations, sinon semblables du moins similaires, les réponses apportées par la règle de droit diffèrent sur la base de raisonnements dont il est parfois difficile de comprendre les logiques intrinsèques. S’il n’y a pas de « vides juridiques », il existe donc bien au sein de l’univers du droit des zones de « turbulences » où se répercutent les hésitations stratégiques de l’Etat. Le concept de dignité, dont l’importance va croissant dans le droit positif et qui imprègne l’ensemble de la réflexion doctrinale, constitue un lieu d’expression de ces tensions juridiques.

Ces tensions ne peuvent être réduites aux simples frictions de la mécanique normative ou à la complexification de la hiérarchie des normes liée à l’intégration dans l’ordre interne de systèmes normatifs internationaux et européens. Cette complexité perturbe certes l’ordre juridique interne, mais elle ne le fait finalement qu’à la marge. C’est bien davantage l’abandon d’un système de valeurs a-juridiques, qui chapeautait originellement l’ensemble de la structure juridico- politique, qui explique de telles tensions. La règle juridique répond à toutes les questions, mais elle ne le fait plus, ou prou, dans un cadre unitaire, fondé sur des axiomes posés préalablement à toute construction juridique. Dès lors l’impermanence de la condition biologique de l’homme résiste nécessairement à sa transposition dans l’univers du droit. L’ambiguïté du statut du corps humain, vivant ou mort, l’ambivalence du statut de l’être en gestation, l’insaisissabilité du psychisme humain et enfin l’insondable mystère de la vie, plongent la règle juridique dans des apories qu’elle ne peut résoudre en raison de ses limites propres. En indemnisant le décès, le droit ne résout pas la souffrance causée par la disparition ; en sanctionnant l’homicide il ne répond pas au mystère psychanalytique de la cruauté individuelle et de la barbarie collective ; en réglementant la fin de vie, il n’offre nulle réponse à l’angoisse de la mort. A ce titre, le droit doit résister aux demandes sociales et aux fantasmes individuels et collectifs qui voudraient à faire accroire qu’un problème est résolu dès lors qu’il est mis en norme. Si l’exigence normative peut être satisfaite, l’univers juridique doit accepter qu’il ne puisse être le lieu de vérité dans lequel se fond l’ensemble des projections individuelles et collectives face à la mort.