Les hypothèses d’humusation(s) à l’aune comparée des droits étrangers (IV/V)

Manifeste
– via l’humusation et l’ordre public –
pour un droit à l’actualisation
de la liberté des funérailles

(et donc des normes funéraires)

par Mathieu Touzeil-Divina
professeur de droit public, Université Toulouse Capitole,
Co-directeur du Master Droit de la Santé – Université Toulouse Capitole,
Président du Collectif L’Unité du Droit, Fondateur du Projet « Vie-Droit-Mort »

Attention ! La mise en ligne et en accès libre des présents propos n’entraîne pas l’abandon de ses droits d’auteurs. Le projet VDM, en accord avec les auteurs concernés, a ainsi choisi de permettre la diffusion de plusieurs doctrines afin qu’elles puissent être diffusées et discutées le plus largement possible. Pour autant, toute reprise de tout ou partie de ce document implique un respectueux droit de citation pour le travail des auteurs concernés.

En l’occurrence, on pourra citer le présent document comme suit :

Touzeil-Divina Mathieu,  » Manifeste – via l’humusation et l’ordre public – pour un droit à l’actualisation de la liberté des funérailles (et donc des normes funéraires)  » in Projet Vie-Droit-Mort ; en ligne sur le site droitsdelamort.com ; 2023 ; art. 04 (IV/V).

Les liens vers les cinq articles composant le Manifeste sont par ailleurs détaillés sur cette page.

Pour développer, en Droit, la présente hypothèse, il nous faut d’abord indiquer ici, en toute transparence, notre proximité (mais non notre dépendance financière ou intellectuelle) avec une initiative portée par mesdames Chenuet et de Rauglaudre dans le cadre d’un projet qu’elles entendent mettre en place de « funérailles inspirées de la Nature » au moyen de nouveaux gestes et rites funéraires et ce, particulièrement, à travers une technique encadrée – tant techniquement que normativement – de création et de promotion d’un premier « humusarium » (c’est-à-dire un lieu dédié à l’humusation au sens où un crématorium est celui consacré à la crématisation).

En reprenant ce dernier terme et en accord avec ce que nous avons pu comprendre de la technique projetée, c’est en toute indépendance que les propos exposés ci-dessous sont exprimés et ont été nourris de l’expérience et des connaissances des deux entrepreneures précitées dont le projet nous a séduit alors que nous n’y avons aucun intérêt financier déclaré et, donc, aucun conflit potentiel. Partant, on exposera d’abord les hypothèses existantes d’humusations (chap. IV) pour ensuite les confronter au Droit existant et hypothétique à venir (Chap. V).

Des Humusations par-delà l’océan. Depuis le milieu des années 2010, plusieurs projets ont fleuri en la matière par-delà l’océan atlantique. L’association nantaise Humo Sapiens[1] l’appelle « terramation » et parfois même à l’anglo-saxonne « humification », quand les défenseurs belges (qui ont précédé les Français) du concept[2] le nomment « humusation[3] » et que d’aucuns[4] mentionnent celui de « compostage » à l’instar du « human composting » et du[5] « natural organic reduction » (réduction organique naturelle) développés par l’entreprise américaine Recompose[6] qui en a fait sa spécialité outre-Atlantique et est avant tout implantée dans l’État américain du Washington.

Voilà pourquoi on peut parler d’humusation(s) au pluriel car il en existe déjà des déclinaisons. Selon les promoteurs belges de la technique, on mettrait en place un[7] « processus contrôlé de transformation des corps par les humuseurs (micro-organismes présents uniquement dans les premiers cm du sol) dans un compost composé de broyats de bois d’élagage, qui transforme, en 12 mois, les dépouilles mortelles en Humus sain et fertile. La transformation [se faisant] hors sol, le corps étant déposé dans un compost et recouvert d’une couche de matières végétales broyées que les Humusateurs ajusteront pour en faire une sorte de « monument vivant ». En une année seulement, l’humusation du défunt produira +/- 1,5 m³ d’« humus sain et fertile. Elle sera réalisée sur un terrain réservé et sécurisé qui aura pour nom « Centre de mise en Humusation » du « Jardin-Forêt de la Métamorphose » ».

Partant, l’hypothèse belge (Métamorphose) entend-t-elle procéder à une transformation accélérée des corps morts en humus à l’air quasi-libre (au sein d’une « butte d’humification ») et ce, dans des espaces dédiés (rarement bien définis cependant et parfois même proposés dans la continuité de cimetières ou sites cinéraires préexistant). Ils se basent sur une vision idéaliste (sinon idéalisée) du retour à la Terre en dénigrant parfois les démarches américaines et françaises jugées trop mercantiles et éloignées de l’objectif premier. Partant, le pionnier américain Recompose prône l’utilisation d’une humusation ou, selon leurs termes d’un « compostage humain » dans une sorte de capsule ou de cocon dans lequel est déposé le corps du défunt et qui peut gérer plusieurs facteurs de température, d’hygrométrie, etc. Quand aux Français d’Humo Sapiens, ils semblent emprunter aux deux méthodes ce qui ne les rend pas toujours lisibles au profane. Si nous avons effectivement bien compris leur démarche, ils prônent une terramation hors sol (comme les Américains) mais ce, dans un milieu « naturel » qui se dit contrôlé par l’Homme quand les Américains (également avec un contrôle humain) mettent en avant l’usage de cocons hors-sol et artificiels accompagnés d’une technologie surveillant et permettant le processus (ce qui pour certains fait penser au retour de la cryogénisation quant aux formats utilisés).

L’objectif de chaque projet est en revanche identique : transformer les défunts en humus. Cependant l’utilisation de l’humus produit diffère selon les promoteurs : d’aucuns en font une donnée potentiellement appropriable (les Américains et certains Belges) et conséquemment susceptible d’être confiée aux proches par exemple quand les Français sont plus évasifs sur cette question.

Un frein belge : l’étude académique de Louvain. Toutefois, « si l’idée de mettre un défunt sur un tas de compost se tient biologiquement, elle pose des problèmes de faisabilité technique » a assuré[8] la Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie qui s’est par ailleurs inspirée d’une étude académique belge ayant singulièrement freiné le projet du groupe Métamorphose.

En effet, après avoir étudié – dans des conditions d’humusation proches (mais non identiques) de celles prônées par la fondation belge, des chercheurs de l’Université de Louvain ont analysé les décompositions et transformations en humus de cadavres de porcs ; animaux présentés comme les plus « proches » de l’être humain du point de vue corporel (poids, taille et physiologie). Les chercheurs partaient de l’hypothèse suivante : un dépôt des cadavres « sur un lit de matière compostable (broyat de branches, feuilles…) (…) [recouverts] de ce même matériau jusqu’à formation d’une butte. En théorie, après trois mois sans intervention, les os nus sont récupérés, broyés et réintégrés à la butte pour maturation du compost ». Toutefois, les chercheurs ont estimé que les compostages n’avaient quasiment ou pas assez eu lieu au regard des calendriers affichés d’humusation. En outre, la décomposition n’est pas apparue si neutre d’un point de vue écologique et si « simple » qu’elle l’annonçait. Par suite, ont relaté les chercheurs[9] : « au terme de chaque essai, l’exhumation a révélé des carcasses de porcs faiblement décomposées et des restes d’aspect blanchâtre et gras, résultat de la transformation des graisses en savons imputrescibles. De plus, la température mesurée au centre des buttes tout au long des essais indique une hygiénisation insuffisante du contenu des buttes, et une influence de la température extérieure sur le bon déroulement du compostage. Les résultats attendus n’ont donc pas été obtenus bien que la durée des expériences dépassait largement les trois mois : 13 semaines et 30 semaines respectivement ».

Leur conclusion, adressée au ministère belge du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville, Christophe Collignon, était sans appel : « l’humusation naturelle n’est pas en l’état une alternative viable à l’incinération et à l’inhumation traditionnelle. La levée des facteurs bloquant le compostage et la gestion de la pollution azotée requièrent une réflexion de fond et multidisciplinaire sur le processus ».

Indirectement visée, le groupe Métamorphose a répondu à ce rapport en s’insurgeant, en dénonçant l’utilisation de porcs mais aussi en faisant remarquer le non-respect des conditions identiques prônées.

Partant, ce rapport scientifique brise-t-il toute évolution européenne et française notamment en matière d’humusation ?

Nous ne le croyons pas car l’hypothèse que nous accompagnons (celle de Mmes Chenuet et de Rauglaudre et que nous qualifierons d’occitane pour la distinguer de celle de Nantes) n’est précisément pas construite sur le procédé belge des « buttes d’humusation ».

L’hypothèse « occitane ». Nos propos, par ailleurs, traiteront surtout des considérations juridiques et non techniques des humusations projetées puisque telle est notre capacité d’expertise. On s’en remet donc (et y renvoyons) aux procédés portés, en pratique, par l’équipe occitane et parisienne précitée.

Matériellement, leur « projet Alpha » (Coeo Life[10]), engage à des « funérailles inspirées de la Nature » et surfe, comme les précédents, sur la proposition d’une réponse à une demande sociale d’écologie et de respect de l’environnement par-delà la Mort. En cherchant à « repenser les funérailles », elles établissent d’abord un constat avec lequel chacun peut opiner : les cimetières urbains très minéraux sont saturés, les funérailles pas assez écologiques et il existe, socialement, un « manque d’accompagnement des familles (avant, pendant et après les funérailles) » singulièrement pour ceux recherchant des rites civils et ou laïques alors que les cimetières et sites cinéraires existant semblent de plus en plus délaissés.

Ce faisant, en proposant de recourir à une humusation, de type hors-sol, et inspirée du modèle américain sans le traduire intégralement (ce que l’on espère bien au regard notamment de l’appropriation finale de l’humus produit), le « projet Alpha » entend non seulement actionner des funérailles vertes dans leur destination et leur matérialisation mais aussi (et c’est ce qui nous a doublement séduit) proposer une[11] « offre funéraire alternative » intégrant des cérémonies civiles et de nouveaux gestes funéraires et lieux de mémoire(s). Ainsi, en développant les cimetières naturels, serait aussi proposée la création d’un nouvel endroit : l’humusarium ; néologisme construit sur le modèle du crématorium et conséquemment destiné à l’humusation. Dans ce dernier serait développé « un dispositif d’humusation en milieu contrôlé permettant de créer les conditions idéales de biodégradation des corps » ce qui revient à balayer les conclusions négatives préc. de l’étude scientifique de Louvain et ce, pour un résultat qui se veut « constant, maîtrisé et digne ».

Les avantages juridiques espérés. Ce faisant, le projet occitan permettrait de répondre à une demande sociale, en actualisation la législation funéraire et en la mettant à jour et – surtout – il répondrait aux craintes que peuvent susciter les autres projets existant comme celui préc. des Belges. En « médicalisant » presque l’humusarium à la manière dont les soins de thanatopraxie sont matérialisés (ce qui peut avoir un côté rassurant de contrôle et de sécurité), mais aussi en les « humanisant » pour permettre, par exemple, de nouveaux gestes et accompagnements funéraires, on pourrait effectivement proposer une réelle novation même si l’on entend bien (et déjà) que de nombreuses craintes se profilent déjà. Et c’est aux craintes juridiques que nous allons essayer de répondre.

Attention ! La mise en ligne et en accès libre des présents propos n’entraîne pas l’abandon de ses droits d’auteurs. Le projet VDM, en accord avec les auteurs concernés, a ainsi choisi de permettre la diffusion de plusieurs doctrines afin qu’elles puissent être diffusées et discutées le plus largement possible. Pour autant, toute reprise de tout ou partie de ce document implique un respectueux droit de citation pour le travail des auteurs concernés.

En l’occurrence, on pourra citer le présent document comme suit :

Touzeil-Divina Mathieu,  » Manifeste – via l’humusation et l’ordre public – pour un droit à l’actualisation de la liberté des funérailles (et donc des normes funéraires)  » in Projet Vie-Droit-Mort ; en ligne sur le site droitsdelamort.com ; 2023 ; art. 04 (IV/V).

Les liens vers les cinq articles composant le Manifeste sont par ailleurs détaillés sur cette page.


[1] Https://humosapiens.fr.

[2] En ligne sur humusation.org par le biais de la Fondation d’Utilité Publique « Métamorphose pour mourir… puis donner la vie ! ».

[3] Sur leur site Internet, ils en revendiquent même ainsi la primeur sinon le monopole intellectuels : « le mot Humusation n’est pas un « bête » nom commun, il a été dûment déposé, et seule la Fondation Métamorphose peut revendiquer le droit de paternité sur le terme ».

[4] Notamment relayés par l’article : Hardy Noémie, « Ces Français qui veulent légaliser le compostage humain » in Le Figaro du 14 septembre 2023.

[5] Cf. Boucault Sarah, « Humusation, aquamation, promession : mais que cachent ces modes de sépulture écolos ? » in La gazette des communes ; 27 janvier 2022.

[6] Https://recompose.life/death-care.

[7] Https://www.humusation.org/humusation-pourquoi-comment.

[8] Il s’agit des propos de Pierre Larribe cités par Florian Bardou ; op. cit.

[9] Dockx Adrien, Desmet Rémi & Baret Philippe, conversion aérobie des dépouilles : validation méthodologique ; rapport final ; Université catholique de Louvain ; Louvain ; 2020.

[10] Notamment présent sur le réseau social Instagram sous cette dénomination. Les citations entre guillemets suivant ce paragraphe sont directement issues des deux porteuses du projet « Alpha ».

[11] Ibidem.